Sous la monarchie absolue, dont le siècle de Louis XV a été l’acmé, les régions ou provinces n’avaient aucun organe d’admistration ou de gestion autonome. La province et la ville – celle-ci pourvue tout de même d’un maire, on se souvient de Montaigne- étaient sous l’autorité directe du Roi et administrées principalement par deux autorités qu’il nommait, le Gouverneur et l’Intendant.
Ces postes ne sont pas des offices soumis au régime de la vénalité. Leurs titulaires sont nommés et révoqués à la discrétion du Roi.

Le gouverneur (celui qui gouverne), représente le Roi dans la province. Il détient le pouvoir militaire et fait observer d’une main de fer une obéissance absolue du peuple au Roi. Comme le poids des impôts s’alourdissait naturellement et que de nouveaux impôts voyaient le jour, des révoltes populaires se produisaient épisodiquement, qu’il fallait bien que le gouverneur, bras armé du Roi, matât.
Des rébellions venaient à avoir lieu, à la suite de pendaisons de gens du peuple injustement condamnés (on ne vérifiait guère l’existence matérielles des faits, une simple allégation à charge d’un maître et davantage d’un noble suffisait pour preuve – et c’était bien une volonté de maintenir une sociéte inégalitaire, car depuis Maïmonide on sait qu’il est nécessaire de vérifier la réalité des faits incriminant un prévenu), de pénurie alimentaire etc…C’est le gouverneur qui se chargeait de la répresion. Bien réprimé, le peuple était calmé pour un temps et les édits royaux étaient en général aisément enregistrés.
Certes, le Parlement avait un droit de remontrances, mais depuis Louis XIV, pour qui l’idée de pouvoir absolu avait un sens, celles-ci ne pouvaient être adressées au Roi qu’après l’enregistrement de l’édit contreversé. Adressées en pratique au Conseil du Roi, celui-ci les retournait en général sans en rompre le cachet de cire pour bien signifier au Parlement facétieux – mais il sera aussi bien souvent frondeur – que personne à Paris ne les avaient lus.
L’intendant ( tenant lieu…du Roi ) est une sorte de super préfet de Région doublé d’un Président de Région.
Il a, d’ailleurs, pour première fonction d’assurer l’enregistrement des édits royaux et d’en diligenter l’application. Si le Parlement hésite à y procéder, le gouverneur se rend avec sa troupe au sein même de l‘instance où il les fera enregistrer. Le Roi pourra en cas de sérieuses difficultés révoquer le premier président du parlement. Il pourra aussi opter pour des mesures radicales, exiler le Parlement, pour celui de Bordeaux,il le fera, ce sera à Condom.
Les intendants de province connaissent leur apogée sous Louis XV. La France comptait alors 31 intendants, 23 en pays d’Etat, qui avaient des Etats provinciaux, c’est-à-dire un organisme chargé de répartir l’impôt direct et d’en prévoir en partie la destination (Bretagne et Bourgogne, anciens duchés) et les Pays d’élections, où la gestion de l’impôt et des finances était directement géré par le seul intendant . C’était le cas de la Guyenne, donc de Bordeaux.
L’intendant, c’est le Roi « présent dans sa province ». Il dispose d’un large pouvoir d’action. Mais, lorsque, bien établi, il reste longtemps en place, il a pu, dans certains cas, jouer un rôle pour la défense des intérêts locaux.
Aussi, l’Intendant finit-il par avoir en réalité davantage de pouvoirs effectifs que le Gouverneur, bien souvent satisfait d’ailleurs de seulement tenir le glaive et d’avoir le pas protocolairement sur l’Intendant, ce qui comptait énormément sous l’ancien Régime.
L’Intendant est souvent issu d’une famille appartenant à la noblesse parlementaire, d’épée bien sûr mais quelque peu aussi de robe. Il appartient à un mileu riche, interessé à la prospérité économique de la Région et à son image, donc à l’aménagement et l’embellissement de la ville. Outre sa fortune d’origine, l’Intendant se voit rémunéré par le Parlement, en raison de sa quallité de maître des requêtes;il reçoit des gages lors de la perception des redevances locales et dispose d’autres sources diverses de revenus que sa situation lui permet d’obtenir.
Son rôle d‘administrateur se double d’un pouvoir judiciaire, et il a un pied dans le parlement, comme il en a un dehors, d’où, au reste, il affrontera ce même parlement au nom du Roi .
Il gère les finances locales. Il contrôle la répartition de la taille, met en place les nouveaux impôts (la capitation depuis 1695, le dixième en 1710, par exemple) . Si dans les pays d’Etat, il y eut des heurts avec les Etats provinciaux, ce ne fut pas le cas à Bordeaux, la province,terre d’élections, n’ayant pas de tels Etats provinciaux.
A noter que les impôts indirects faisaient l’attribution d’une ferme (affermage) par adjudication. Le fermier versait donc le montant total de l’impôt au Roi et se remboursait en prélevant l’impôt sur la population. Il n’avait aucun compte à rendre. La rémunération du fermier général s’élevait à unmontant se situant dans une fourchette de 13 à 14% du montant récolté.- à côté du fermier général, il y a avait le fermier du tabac etc…)
Il s’occupe de l’industrie et du commerce. On sait que l’Etat joue un rôle important dans l’encouragement des manufactures depuis Colbert (sous Henri IV aussi déjà).
Il a une mision d’administration territoriale en général.
Aussi, lorsque, bien établi, il reste longtemps en place, il peut remplir une oeuvre durable et variée, notamment en matière d’urbanisme et de mécénat culturel.
C’est le cas, par exemple du marquis de Tourny, né Louis-Urbain Aubert , né aux Andelys, près de Paris, Intendant à Limoges en 1719, – il n’est en rien d’origine bordelaise- et c’est toutefois muni d’une forte expérience qu’il deviendra Intendant à Bordeaux de 1743 à 1757, et contribuera au renom de Bordeaux ; son fils, Claude-Louis Aubert de Tourny lui succèdera.
Il a poursuivi l’oeuve de son prédécésseur, l’Intendant Boucher, et initié de grands projets de transformation de la ville notamment en supervisant la destruction des remparts de la ville – ce qu’il en restait, Louis XI s’était déjà chargé de les démolir pour asseoir son pouvoir sur la ville – initiant la construction de nouvelles portes de la ville, l’aménagement des quais de la Garonne, la création des places Tourny, Gambetta et Victoire.
Il a ouvert des avenues pour améliorer la circulation et créé le jardin public, qui était à l’origine un jardin royal, facilitant l’accès entre le centre ville et le quartier des Chartrons. On se demande comment c’était avant Tourny.

Thomas Carlton, Portrait de Louis-Urbain Aubert, marquis de Tourny (1695-1760), Intendant à Bordeaux de 1743-1757, huile sur toile, Bordeaux, musée des Beaux-Arts.
Ce portait présumé de l’intendant Tourny qui entame en 1753 les travaux d’embellissement des quais de la Garonne possède un cadre très particulier : il est orné du blason de la ville de Bordeaux. Y figurent le léopard de Guyenne en référence à l’occupation anglaise de la région pendant trois siècles, la Grosse Cloche et sous sa herse un croissant de lune. Lorsqu’elle coule à Bordeaux, la Garonne forme en effet une courbe très marquée. Cette particularité géographique justifie l’appellation Port de la lune donnée à la ville dès le Moyen-Âge.
L’Intendant de Tourny : Origine et parcours classiques d’un Intendant au temps de Louis XV
L’absolutisme royal avait instauré un mécanisme de nomination des Intendants de nature à assurer son pouvoir sans partage.
Son père, le marquis de Tourny, seigneur de La Falaize, Carcassonne, Mercey et autres lieux qu’on voudra bien, est receveur général des Finances de la généralité de Caen , puis président en la Cour des comptes aides et finances de Normandie, un office vénal. C’est donc d’un noble, riche et détenteurs d’emplois rémunérateurs dont l’intendant de Tourny est le fils.
Lui-même, né en 1795, a commencé sa carrière à Paris. Très tôt, en 1719 à 24 ans, il est membre du Grand Conseil du Roi (précisément l’organe de l’Etat qui, notamment, renvoie aux Parlements leurs lettres de remontrances sans les ouvrir et qui, à côté des ministres, est le centre du pouvoir administratif royal). Il sera nommé Intendant à Limoges en 1730. En 1743, quand il arrive à Bordeaux c’est donc un homme d’âge mur, d’expérience et d’autorité.

Statue en marbre installée en 1825 au centre de la place Tourny à Bordeaux.
L’inscription présente sur la façade ouest du piédestal est la suivante : “ La Ville de Bordeaux / à / Louis-Urbain-Aubert de Tourny / Intendant de Guyenne / de 1743 à 1757”. Nous retrouvons sur la façade est une seconde inscription que voici : “Cette statue a été inaugurée / le 27 mars 1900 / M. Berniquet, Préfet de la Gironde / M.C. Cousteau, Maire de Bordeaux en remplacement de celle érigée / le 27 juillet 1825 / M. le Baron d’Haussez, Préfet / M. le Vicomte du Hamel, Maire”
Nous retrouvons deux inscriptions dûes à l’histoire de cette dernière. En 1825, est installée la première statue de Tourny par J.C. Marin. Plus d’un demi-siècle plus tard la réalisation d’une seconde statue en bronze a été confiée au sculpteur Gaston Leroux. La raison, la modification de la place Tourny ainsi que la surélévation des immeubles l’ont rendu “trop petite” aux yeux de certains. Le 27 mars 1900, est inaugurée la seconde statue, vivement critiquée, en raison d’un visage qui ne correspond pas aux portraits authentiques du marquis.
Nous voilà de plain-pied dans la ville de Bordeaux
sous l’empire
du meilleur
et du pire
comme ailleurs

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